dimanche 19 décembre 2010

Öko, un thé en hiver - M. Rutten


Öko, un thé en hiver
, Mélanie Rutten, éditions MeMo, 2010.


[p. 2-5]




"4. Blanc
(...)

Öko adore la neige
Parce que c'est toujours une surprise.
Parce qu'il y en a partout et beaucoup.
Parce qu'elle est à tout le monde.

Parce que certaines choses peuvent être parfaites.
Parce que marcher dans la neige est aussi bon
que piétiner un château de sable à la plage."


[p. 29-31]

dimanche 12 décembre 2010

Les souvenirs m'observent - T. Tranströmer

Les souvenirs m'observent, Tomas Tranströmer, traduit du suédois et postfacé par Jacques Outin, éd. Le Castor Astral, 2004. [1993]

" "Ma vie." Quand je pense à ces mots, je vois devant moi un rayon de lumière. Et, à y regarder de plus près, je remarque que cette lumière a la forme d'une comète et que celle-ci est pourvue d'une tête et d'une queue. Son extrémité la plus lumineuse, celle de la tête, est celle de l'enfance et des années de formation. Le noyau, donc sa partie la plus concentrée correspond à la prime enfance, où sont définies les caractéristiques les plus marquantes de l'existence. J'essaie de me souvenir, j'essaie d'aller jusque-là. Mais il est difficile de se déplacer dans cette zone compacte : cela semble même périlleux et me donne l'impression d'approcher de la mort. Plus loin, à l'arrière, la comète se dissout dans sa partie la plus longue. Elle se dissémine, sans toutefois cesser de s'élargir. Je suis maintenant très loin dans la queue de la comète : j'ai soixante ans au moment où j'écris ces lignes.
Nos premières expériences, pour la plupart, nous sont inaccessibles. Les chroniques, les souvenirs de souvenirs, les reconstitutions se fondent sur un choix de sentiments qui subitement s'enflamment. Mon souvenir le plus ancien est celui d'un sentiment, un sentiment de fierté. Je viens tout juste d'avoir trois ans et on me dit que c'est un évènement d'une extrême importance, car je suis un grand garçon maintenant. Je suis couché dans une immense chambre claire, et soudain, je me laisse glisser sur le sol, parfaitement conscient du fait que je suis en train de devenir adulte. J'ai une poupée, à laquelle j'ai donné le plus beau nom qui soit : KARIN SPINNA. Je ne la traite pas comme une mère ferait de son enfant. C'est plutôt une amie ou ma petite chérie."

p.9-11

dimanche 5 décembre 2010

Garçons de cristal - B. Xianyong


Garçons de cristal, Bai Xianyong, roman traduit du chinois par André Lévy, éd. Philippe Picquier, poche, 2003. [Flammarion, 1995]

" Notre royaume ne connait que la nuit noire. Il ignore le jour. Dès que le ciel s'éclaire, notre royaume se cache, car c'est un Etat on ne peut plus illégal : nous n'avons ni gouvernement ni constitution. Nul ne nous reconnaît ni ne nous respecte. Notre nation ressemble à la cohue d'un rassemblement de corbeaux. Il nous arrive de nous choisir un chef - une personne âgée et honorable qui présente bien, qui a de l'allure, un caractère amène, mais, désinvoltes, nous sommes aussi prêts à le renverser si tel est notre bon plaisir, car nous sommes une population qui adore le nouveau, déteste les vieilleries, et non pas un peuple de bonne conduite.
A vrai dire, notre royaume occupe un territoire pitoyablement exigu, long de moins de trois cents mètres, large d'à peine cent mètres, limité à la minable bande de terrain qui entoure ce bassin rectangulaire où fleurissent les lotus, à New Park, le jardin public de l'avenue du Musée municipal de Taipei.

Les bords de notre territoire national sont plantés en rangs serrés de toutes sortes d'arbres et d'arbustes tropicaux, dans un enchevêtrement où l'on a peine à distinguer les diverses espèces : viornes vertes, arbres à pain, palmiers, si vieux que leur chevelure à chacun pend lamentablement ; il y a aussi le long de l'avenue, les grands cocotiers qui passent leur journée à soupirer et à hocher la tête. C'est comme si notre royaume était caché au centre d'une haie épaisse qui le couperait momentanément du monde extérieur. Mais nous n'en avions pas moins à chaque instant le sentiment aigu de la menace que faisaient peser sur nous les milliers de mondes au-delà de la haie d'enceinte. Le haut parleur d'un émetteur vociférant par-delà le bosquet transmettait sans cesse des nouvelles à sensation du dehors. La speakerine de la Chinese Broadcasting Corporation criait d'une voix obsédante, bourrée d'accent pékinois : "Un astronaute américain débarque sur la lune ! Un trafiquant d'un réseau international de drogue de Honk-Kong - Taiwan est tombé ce matin dans nos filets ! Le procès de l'affaire de corruption du Service des eaux grasses s'ouvre demain !"
Nous dressions chacun l'oreille, telle une bande de cerfs rescapés d'un massacre dans une forêt infestée de tigres et de loups. Nous écoutions avec la plus extrême attention : tout bruit, l'herbe agitée par la brise, constituait pour nous un avertissement. Il suffisait que le crissement des chaussures cloutées des policiers venant du bosquet de palmiers envahît tout à coup nos frontières pour que nous tombions d'accord sans mot d'ordre en faveur d'une dispersion aussi soudaine que générale. Les uns se glissaient devant la plate-forme où l'on diffusait de la musique et se mêlaient à la foule ; d'autres se faufilaient aux toilettes, faisant mine de se soulager, pisser ou chier, selon le coin où ils se cachaient ; d'autres encore s'enfuyaient jusqu'à l'entrée principale du jardin public et se dissimulaient derrière les colonnes qui se dressaient au-dessus des marches de pierre de ce musée qui avait l'air d'un mausolée antique ; abrités à l'ombre des piliers, ils pouvaient momentanément reprendre souffle. Notre royaume sans gouvernement étant incapable de nous assurer la moindre protection, nous ne pouvions que compter sur nos instincts de survie en tâtonnant dans le noir.

L'histoire de ce royaume qui est le nôtre est obscure : nul ne sait par qui ni quand il fut fondé, mais dans ce minuscule pays des plus secrets, des plus illégitimes qui soient, se sont produites nombre d'histoires douloureuses, pleines de vicissitudes, à pleurer, à chanter, bien qu'elles ne méritent guère d'être contées à ceux qui leur sont étrangers. Quand nous évoquons entre nous, une poignée d'anciens aux cheveux blancs ou grisonnants, ces évènements bigarrés du passé, c'est toujours avec une certaine mélancolie, et nous ne pouvons nous empêcher de soupirer, non sans un soupçon de fierté :
"Ah ! Vous n'êtes plus à la hauteur, jamais vous ne les revivrez, ces jours d'autrefois !"

(...)

"Ces nénufars rouges vif, ils étaient beaux, d'une beauté saisissante !" "

p.11-12-13

dimanche 28 novembre 2010

dimanche 14 novembre 2010

La cote 400 - S. Divry


La cote 400, Sophie Divry, éd. Les Allusifs, 2010.

"Tout cela est un leurre, un leurre profond. Jamais on ne se sent aussi misérable que dans une bibliothèque. On a beau s'humilier devant les livres, on a beau faire des efforts pour tenter de comprendre, j'ai beau lire et relire, il n'y a pas d'espoir. Vous le savez bien. Les livres ne peuvent rien pour nous. Ils ont toujours raison contre nous. D'ailleurs, si on ne cherche pas à les dominer au maximum, ils nous tueront tous, ces salauds. Ils ont leur logique propre. Vous vous rappelez : le mois dernier ici il y avait un fauteuil, et là quatre places de lecture. Disparus : remplacés par deux étagères en faux bois pour la cote 960. La contre-révolution est en marche, il faut faire quelque chose. Leur but, c'est l'expulsion totale des lecteurs de la bibliothèque. Je les voir venir, moi. Ils se retrouvent entre eux, s'entassent, s'emmuraillent, se barricadent dans les magasins, puis, une fois bien armés, ils reviennent à la charge. Aidés par certains conservateurs et certaines bibliothécaires à chapeau à plumes, ils prennent les places de devant, morceau par morceau. Le lecteur recule, trébuche, résiste, mais au fur et à mesure on le pousse parce qu'il dérange, l'être humain, il le sent bien. Alors, las, il s'enfuit. Et c'est la fin. "Le mort saisit le vif", comme disaient nos anciens. Je vais vous dire ce qu'il en est. La bibliothèque est l'arène où chaque jour se renouvelle le combat homérique entre les livres et les lecteurs. Dans ce combat, le bibliothécaire est l'arbitre. Dans cette arène, il joue un rôle crucial. Soit il se range lâchement du côté de la muraille de livres, soit courageusement il soutient le lecteur égaré. Dans ce combat, chacun choisit selon sa conscience. Mais les bibliothécaires ne sont pas forcément du côté des humains, détrompez-vous. Vous ne vous rendez pas compte, vous êtes un troupeau livré entre nos mains, vous gambadez en liberté alors que partout il y a des loups prêts à vous dévorer, des cyclopes, des sirènes, des femmes nues, ah, mon Dieu, quelles angoisse... Il n'y a que deux côtés à une barricade. Moi j'ai choisi mon camp, camarade. Je soutiens le lecteur esseulé, déprimé, misérable face au prestige écrasant de l'Armée des Livres."

p.55-56

dimanche 7 novembre 2010

Éloge de l'ombre - J. Tanizaki


Éloge de l'Ombre, Tanizaki Jun'ichirô, traduit du japonais par René Sieffert, P.O.F. [Publications Orientalistes de France], 1993. [Tanizaki Matsuko & Orion Press, 1933 ; ALC, 1977]

"D'aucuns diront que la fallacieuse beauté créée par la pénombre n'est pas la beauté authentique. Toutefois, ainsi que je le disais plus haut, nous autres Orientaux nous créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants.
Des branchages
assemblez et les nouez
voici une hutte
dénouez-les vous aurez
la plaine comme devant
dit le vieux poème, et notre pensée somme toute procède selon une démarche analogue : je crois que le beau n'est pas une substance en soi, mais rien qu'un dessin d'ombres, qu'un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu'une pierre phosphorescente qui, placée dans l'obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l'on supprime les effets d'ombre."

p.76-77

dimanche 31 octobre 2010

La Faim - K.Hamsun


La Faim, Knut Hamsun, traduit du norvégien par Georges Sautreau, préface d'André Gide, introduction d'Octave Mirbeau, coll. "Biblio", Le Livre de Poche, 2004. [P.U.F., 1961]

"Maintenant, je m'en vais, je m'en vais ! Ne voyez-vous pas que j'ai déjà la main sur la clef ? Adieu, adieu, dis-je ! Vous pourriez bien me répondre quand je vous dis adieu deux fois et que je suis tout prêt à m'en aller. Je ne vous demande même pas un nouveau rendez-vous, car cela vous tourmenterait. Mais dites-moi : Pourquoi ne pas m'avoir laissé tranquille ? Que vous ai-je fait ! Je n'encombrais pas votre route, n'est-ce pas ? Et pourquoi vous détournez soudain de moi, comme si vous ne me connaissiez plus du tout ? Maintenant vous m'avez arraché mes dernières illusions, vous m'avez plumé à fond, vous m'avez fait plus misérable que je n'ai jamais été. Mais Grand Dieu, je ne suis pas fou. Vous savez très bien, pour peu que vous y réfléchissiez, que je suis parfaitement sain d'esprit. Allons, venez me tendre la main ! Ou bien permettez-moi d'aller vers vous ! Voulez-vous ? Je ne vous ferai pas de mal, je veux simplement m'agenouiller devant vous un instant, m'agenouiller là par terre devant vous, rien qu'un instant. Le puis-je ? Non, non, je ne le ferai pas, je ne le ferai pas, entendez-vous ! Grand Dieu ! pourquoi êtes-vous si effrayée. Je reste bien tranquille, je ne bouge pas. J'aurais voulu m'agenouiller sur le tapis, une minute, juste là, sur la teinte rouge, bien à vos pieds. Mais vous avez eu peur, j'ai pu voir dans vos yeux que vous aviez peur, aussi suis-je resté tranquille. Je n'ai pas fait un pas, en vous adressant cette prière, n'est-ce pas ? Je suis resté tout aussi immobile que maintenant quand je vous montre l'endroit où j'aurais voulu m'agenouiller devant vous, là-bas, sur la rose rouge du tapis. Je ne la montre même pas du doigt, je ne la montre pas du tout, je m'en abstiens, pour ne pas vous effrayer, je fais simplement un mouvement de tête en regardant là-bas, comme ça ! et vous comprenez très bien quelle rose je veux dire, mais vous ne voulez pas me permettre de m'agenouiller là ; vous avez peur de moi et vous n'osez pas vous approcher de moi. Je ne comprends pas que vous puissiez avoir le cœur de m'appeler fou. N'est-ce pas, vous ne le croyez plus non plus ? Une fois, en été, il y a longtemps, j'ai été fou ; je travaillais trop dur et j'oubliais d'aller déjeuner à l'heure voulue quand j'avais beaucoup à réfléchir. Cela m'arrivait jour après jour ; j'aurais dû me le rappeler, mais je l'oubliais sans cesse. Par le Dieu du ciel, c'est vrai ! Que Dieu ne me laisse jamais sortir vivant de cette pièce, si je mens ! Vous voyez, vous êtes injuste envers moi. Ce n'était pas par nécessité que je faisais cela : j'ai crédit, un gros crédit, chez Ingebret et chez Gravesen ; souvent aussi j'avais beaucoup d'argent dans ma poche et cependant je n'achetais pas de quoi manger parce que je l'oubliais. Entendez-vous ? Vous ne dites rien, vous ne répondez pas, vous ne bougez pas de la cheminée, vous restez là à attendre que je m'en aille..."

p.225-227