dimanche 19 décembre 2010

Öko, un thé en hiver - M. Rutten


Öko, un thé en hiver
, Mélanie Rutten, éditions MeMo, 2010.


[p. 2-5]




"4. Blanc
(...)

Öko adore la neige
Parce que c'est toujours une surprise.
Parce qu'il y en a partout et beaucoup.
Parce qu'elle est à tout le monde.

Parce que certaines choses peuvent être parfaites.
Parce que marcher dans la neige est aussi bon
que piétiner un château de sable à la plage."


[p. 29-31]

dimanche 12 décembre 2010

Les souvenirs m'observent - T. Tranströmer

Les souvenirs m'observent, Tomas Tranströmer, traduit du suédois et postfacé par Jacques Outin, éd. Le Castor Astral, 2004. [1993]

" "Ma vie." Quand je pense à ces mots, je vois devant moi un rayon de lumière. Et, à y regarder de plus près, je remarque que cette lumière a la forme d'une comète et que celle-ci est pourvue d'une tête et d'une queue. Son extrémité la plus lumineuse, celle de la tête, est celle de l'enfance et des années de formation. Le noyau, donc sa partie la plus concentrée correspond à la prime enfance, où sont définies les caractéristiques les plus marquantes de l'existence. J'essaie de me souvenir, j'essaie d'aller jusque-là. Mais il est difficile de se déplacer dans cette zone compacte : cela semble même périlleux et me donne l'impression d'approcher de la mort. Plus loin, à l'arrière, la comète se dissout dans sa partie la plus longue. Elle se dissémine, sans toutefois cesser de s'élargir. Je suis maintenant très loin dans la queue de la comète : j'ai soixante ans au moment où j'écris ces lignes.
Nos premières expériences, pour la plupart, nous sont inaccessibles. Les chroniques, les souvenirs de souvenirs, les reconstitutions se fondent sur un choix de sentiments qui subitement s'enflamment. Mon souvenir le plus ancien est celui d'un sentiment, un sentiment de fierté. Je viens tout juste d'avoir trois ans et on me dit que c'est un évènement d'une extrême importance, car je suis un grand garçon maintenant. Je suis couché dans une immense chambre claire, et soudain, je me laisse glisser sur le sol, parfaitement conscient du fait que je suis en train de devenir adulte. J'ai une poupée, à laquelle j'ai donné le plus beau nom qui soit : KARIN SPINNA. Je ne la traite pas comme une mère ferait de son enfant. C'est plutôt une amie ou ma petite chérie."

p.9-11

dimanche 5 décembre 2010

Garçons de cristal - B. Xianyong


Garçons de cristal, Bai Xianyong, roman traduit du chinois par André Lévy, éd. Philippe Picquier, poche, 2003. [Flammarion, 1995]

" Notre royaume ne connait que la nuit noire. Il ignore le jour. Dès que le ciel s'éclaire, notre royaume se cache, car c'est un Etat on ne peut plus illégal : nous n'avons ni gouvernement ni constitution. Nul ne nous reconnaît ni ne nous respecte. Notre nation ressemble à la cohue d'un rassemblement de corbeaux. Il nous arrive de nous choisir un chef - une personne âgée et honorable qui présente bien, qui a de l'allure, un caractère amène, mais, désinvoltes, nous sommes aussi prêts à le renverser si tel est notre bon plaisir, car nous sommes une population qui adore le nouveau, déteste les vieilleries, et non pas un peuple de bonne conduite.
A vrai dire, notre royaume occupe un territoire pitoyablement exigu, long de moins de trois cents mètres, large d'à peine cent mètres, limité à la minable bande de terrain qui entoure ce bassin rectangulaire où fleurissent les lotus, à New Park, le jardin public de l'avenue du Musée municipal de Taipei.

Les bords de notre territoire national sont plantés en rangs serrés de toutes sortes d'arbres et d'arbustes tropicaux, dans un enchevêtrement où l'on a peine à distinguer les diverses espèces : viornes vertes, arbres à pain, palmiers, si vieux que leur chevelure à chacun pend lamentablement ; il y a aussi le long de l'avenue, les grands cocotiers qui passent leur journée à soupirer et à hocher la tête. C'est comme si notre royaume était caché au centre d'une haie épaisse qui le couperait momentanément du monde extérieur. Mais nous n'en avions pas moins à chaque instant le sentiment aigu de la menace que faisaient peser sur nous les milliers de mondes au-delà de la haie d'enceinte. Le haut parleur d'un émetteur vociférant par-delà le bosquet transmettait sans cesse des nouvelles à sensation du dehors. La speakerine de la Chinese Broadcasting Corporation criait d'une voix obsédante, bourrée d'accent pékinois : "Un astronaute américain débarque sur la lune ! Un trafiquant d'un réseau international de drogue de Honk-Kong - Taiwan est tombé ce matin dans nos filets ! Le procès de l'affaire de corruption du Service des eaux grasses s'ouvre demain !"
Nous dressions chacun l'oreille, telle une bande de cerfs rescapés d'un massacre dans une forêt infestée de tigres et de loups. Nous écoutions avec la plus extrême attention : tout bruit, l'herbe agitée par la brise, constituait pour nous un avertissement. Il suffisait que le crissement des chaussures cloutées des policiers venant du bosquet de palmiers envahît tout à coup nos frontières pour que nous tombions d'accord sans mot d'ordre en faveur d'une dispersion aussi soudaine que générale. Les uns se glissaient devant la plate-forme où l'on diffusait de la musique et se mêlaient à la foule ; d'autres se faufilaient aux toilettes, faisant mine de se soulager, pisser ou chier, selon le coin où ils se cachaient ; d'autres encore s'enfuyaient jusqu'à l'entrée principale du jardin public et se dissimulaient derrière les colonnes qui se dressaient au-dessus des marches de pierre de ce musée qui avait l'air d'un mausolée antique ; abrités à l'ombre des piliers, ils pouvaient momentanément reprendre souffle. Notre royaume sans gouvernement étant incapable de nous assurer la moindre protection, nous ne pouvions que compter sur nos instincts de survie en tâtonnant dans le noir.

L'histoire de ce royaume qui est le nôtre est obscure : nul ne sait par qui ni quand il fut fondé, mais dans ce minuscule pays des plus secrets, des plus illégitimes qui soient, se sont produites nombre d'histoires douloureuses, pleines de vicissitudes, à pleurer, à chanter, bien qu'elles ne méritent guère d'être contées à ceux qui leur sont étrangers. Quand nous évoquons entre nous, une poignée d'anciens aux cheveux blancs ou grisonnants, ces évènements bigarrés du passé, c'est toujours avec une certaine mélancolie, et nous ne pouvons nous empêcher de soupirer, non sans un soupçon de fierté :
"Ah ! Vous n'êtes plus à la hauteur, jamais vous ne les revivrez, ces jours d'autrefois !"

(...)

"Ces nénufars rouges vif, ils étaient beaux, d'une beauté saisissante !" "

p.11-12-13

dimanche 28 novembre 2010

dimanche 14 novembre 2010

La cote 400 - S. Divry


La cote 400, Sophie Divry, éd. Les Allusifs, 2010.

"Tout cela est un leurre, un leurre profond. Jamais on ne se sent aussi misérable que dans une bibliothèque. On a beau s'humilier devant les livres, on a beau faire des efforts pour tenter de comprendre, j'ai beau lire et relire, il n'y a pas d'espoir. Vous le savez bien. Les livres ne peuvent rien pour nous. Ils ont toujours raison contre nous. D'ailleurs, si on ne cherche pas à les dominer au maximum, ils nous tueront tous, ces salauds. Ils ont leur logique propre. Vous vous rappelez : le mois dernier ici il y avait un fauteuil, et là quatre places de lecture. Disparus : remplacés par deux étagères en faux bois pour la cote 960. La contre-révolution est en marche, il faut faire quelque chose. Leur but, c'est l'expulsion totale des lecteurs de la bibliothèque. Je les voir venir, moi. Ils se retrouvent entre eux, s'entassent, s'emmuraillent, se barricadent dans les magasins, puis, une fois bien armés, ils reviennent à la charge. Aidés par certains conservateurs et certaines bibliothécaires à chapeau à plumes, ils prennent les places de devant, morceau par morceau. Le lecteur recule, trébuche, résiste, mais au fur et à mesure on le pousse parce qu'il dérange, l'être humain, il le sent bien. Alors, las, il s'enfuit. Et c'est la fin. "Le mort saisit le vif", comme disaient nos anciens. Je vais vous dire ce qu'il en est. La bibliothèque est l'arène où chaque jour se renouvelle le combat homérique entre les livres et les lecteurs. Dans ce combat, le bibliothécaire est l'arbitre. Dans cette arène, il joue un rôle crucial. Soit il se range lâchement du côté de la muraille de livres, soit courageusement il soutient le lecteur égaré. Dans ce combat, chacun choisit selon sa conscience. Mais les bibliothécaires ne sont pas forcément du côté des humains, détrompez-vous. Vous ne vous rendez pas compte, vous êtes un troupeau livré entre nos mains, vous gambadez en liberté alors que partout il y a des loups prêts à vous dévorer, des cyclopes, des sirènes, des femmes nues, ah, mon Dieu, quelles angoisse... Il n'y a que deux côtés à une barricade. Moi j'ai choisi mon camp, camarade. Je soutiens le lecteur esseulé, déprimé, misérable face au prestige écrasant de l'Armée des Livres."

p.55-56

dimanche 7 novembre 2010

Éloge de l'ombre - J. Tanizaki


Éloge de l'Ombre, Tanizaki Jun'ichirô, traduit du japonais par René Sieffert, P.O.F. [Publications Orientalistes de France], 1993. [Tanizaki Matsuko & Orion Press, 1933 ; ALC, 1977]

"D'aucuns diront que la fallacieuse beauté créée par la pénombre n'est pas la beauté authentique. Toutefois, ainsi que je le disais plus haut, nous autres Orientaux nous créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants.
Des branchages
assemblez et les nouez
voici une hutte
dénouez-les vous aurez
la plaine comme devant
dit le vieux poème, et notre pensée somme toute procède selon une démarche analogue : je crois que le beau n'est pas une substance en soi, mais rien qu'un dessin d'ombres, qu'un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu'une pierre phosphorescente qui, placée dans l'obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l'on supprime les effets d'ombre."

p.76-77

dimanche 31 octobre 2010

La Faim - K.Hamsun


La Faim, Knut Hamsun, traduit du norvégien par Georges Sautreau, préface d'André Gide, introduction d'Octave Mirbeau, coll. "Biblio", Le Livre de Poche, 2004. [P.U.F., 1961]

"Maintenant, je m'en vais, je m'en vais ! Ne voyez-vous pas que j'ai déjà la main sur la clef ? Adieu, adieu, dis-je ! Vous pourriez bien me répondre quand je vous dis adieu deux fois et que je suis tout prêt à m'en aller. Je ne vous demande même pas un nouveau rendez-vous, car cela vous tourmenterait. Mais dites-moi : Pourquoi ne pas m'avoir laissé tranquille ? Que vous ai-je fait ! Je n'encombrais pas votre route, n'est-ce pas ? Et pourquoi vous détournez soudain de moi, comme si vous ne me connaissiez plus du tout ? Maintenant vous m'avez arraché mes dernières illusions, vous m'avez plumé à fond, vous m'avez fait plus misérable que je n'ai jamais été. Mais Grand Dieu, je ne suis pas fou. Vous savez très bien, pour peu que vous y réfléchissiez, que je suis parfaitement sain d'esprit. Allons, venez me tendre la main ! Ou bien permettez-moi d'aller vers vous ! Voulez-vous ? Je ne vous ferai pas de mal, je veux simplement m'agenouiller devant vous un instant, m'agenouiller là par terre devant vous, rien qu'un instant. Le puis-je ? Non, non, je ne le ferai pas, je ne le ferai pas, entendez-vous ! Grand Dieu ! pourquoi êtes-vous si effrayée. Je reste bien tranquille, je ne bouge pas. J'aurais voulu m'agenouiller sur le tapis, une minute, juste là, sur la teinte rouge, bien à vos pieds. Mais vous avez eu peur, j'ai pu voir dans vos yeux que vous aviez peur, aussi suis-je resté tranquille. Je n'ai pas fait un pas, en vous adressant cette prière, n'est-ce pas ? Je suis resté tout aussi immobile que maintenant quand je vous montre l'endroit où j'aurais voulu m'agenouiller devant vous, là-bas, sur la rose rouge du tapis. Je ne la montre même pas du doigt, je ne la montre pas du tout, je m'en abstiens, pour ne pas vous effrayer, je fais simplement un mouvement de tête en regardant là-bas, comme ça ! et vous comprenez très bien quelle rose je veux dire, mais vous ne voulez pas me permettre de m'agenouiller là ; vous avez peur de moi et vous n'osez pas vous approcher de moi. Je ne comprends pas que vous puissiez avoir le cœur de m'appeler fou. N'est-ce pas, vous ne le croyez plus non plus ? Une fois, en été, il y a longtemps, j'ai été fou ; je travaillais trop dur et j'oubliais d'aller déjeuner à l'heure voulue quand j'avais beaucoup à réfléchir. Cela m'arrivait jour après jour ; j'aurais dû me le rappeler, mais je l'oubliais sans cesse. Par le Dieu du ciel, c'est vrai ! Que Dieu ne me laisse jamais sortir vivant de cette pièce, si je mens ! Vous voyez, vous êtes injuste envers moi. Ce n'était pas par nécessité que je faisais cela : j'ai crédit, un gros crédit, chez Ingebret et chez Gravesen ; souvent aussi j'avais beaucoup d'argent dans ma poche et cependant je n'achetais pas de quoi manger parce que je l'oubliais. Entendez-vous ? Vous ne dites rien, vous ne répondez pas, vous ne bougez pas de la cheminée, vous restez là à attendre que je m'en aille..."

p.225-227

dimanche 24 octobre 2010

Le livre des serpents & des échelles - L.Bianchi


Le livre des serpents & des échelles, Laetitia Bianchi, éd. L'Oeil électrique, 2007.




"Et la voix que j'avais entendu me dit :
Va, prends le petit livre ouvert
Prends-le et avale-le
Il sera amer à tes entrailles, mais dans ta bouche il sera doux comme
Choses douces
Je pris le livre et je l'avalai
Il fut dans ma bouche doux
Mais quand je l'eus avalé
Mais entrailles furent remplies
D'amertume"
cases 95-96-97-98-Serpent-39



"Deux ailes de l'aigle
Furent données à la femme
Afin qu'elle s'envole
Et la terre secourut la femme La terre
ouvrit sa bouche
Et engloutit le fleuve
Et
Je vis une femme
Assise sur une bête écarlate
Pleine de noms de blasphème."
cases 99-1-100


dimanche 17 octobre 2010

All the Art That's Fit to Print - J.Kraus


All the Art That's Fit to Print (And Some That Wasn't): Inside The New York Times Op-Ed Page, Jerelle Kraus (Foreword by Ralph Steadman), Colombia University Press, 2009.

" "It was important for us to develop an arresting visual world of our own", says Op-Ed's first art director, Lou Silverstein. Searching for ideas, "I grabbed two editors", he recalls, "and we spent a couple hours looking at illustrations in the public library." Then Silverstein sent seven top designers a list of the day's main issues, requesting that they make drawings. "These guys didn't need the extra money," Silverstein comments, "yet they could express themselves publicly on their burning issues. I spent a lot of time working with them, but it was a dead end. I got enough banal responses to realise designers weren't the key. You have to have a direction, a focus. Not everybody has something to say."
The Op-Ed page began publishing before establishing a fresh visual identity.
(...)
Before long, though, Op-Ed showcased a potent drawing by Ralph Steadman that Silverstein had seen in the artist's London apartment. Steadman would be good, Silverstein thought, because "he's an angry artist who focuses his anger."
(...)
After Silverstein got things going, he put staff art director Bob Melson in charge. During Op-Ed's first year, however, strong illustrations only occasionally showed up among lackluster spots and shots from the 'morgue', the Times's photograph archive. Melson held the helm until Memorial Day 1971.
Enter alpha male Jean-Claude Suarès, a wheeler-dealer who answers to "J.-C.". "Wearing a suit and hair down to my shoulders," he says, "I went for an interview at the Times. They were looking fro somebody to find art for Op-Ed." The paper eventually hired him as a freelance art editor. "But when I showed them images," Suarès recalls, "They'd say, 'That's great, but it's too crazy. We can't run it." Op-Ed didn't print a thing he showed them for seven months.
"I realized it was a joke," says Suarès. Then, one day in 1971, an article compared living in New York to living on the moon. It made Suarès think of "a perfect Topor drawing of a guy hanging from the moon. I had it made into a cut [lead engraving] and sent to the composing room. Then the mucky-mucks came down and said exactly what drove me nuts. 'I'm worried'. Whenever they said that, I saw red."
The editors replaced Topor's drawing with a photo of New York. Suarès thought that he was finished at the Times and had nothing to lose. "So I left," he recounts, "and took the Topor cut with me. I returned to the composing room just before closing. The mucky-mucks were gone. I told a printer, 'They changed their minds.' 'You sure?' 'Yes.' So the printer put the photo on the floor and Topor's drawing in the page." Suarès smashed the lead engraving of the photo whith his boot heel to ensure that it couldn't be used and then got a proof of the finished page.
"I knew my Times career was over," says Suarès. "I returned to my office and cleaned out my desk. I planned to see a movie the next day but I got an early call to come in." He went to see Silverstein who told him, "I can't believe how stupid you are! What made you think we'd ever run a drawing like this?"
"I thought that was what I was hired for," replied Suarès. Then Silverstein's phone rang. Editor Harrison Salisbury wanted to see Suarès. "So," Suarès relates, "I got up to Harrison, who's talking to the publisher. The publisher's telling him it's a great page. I don't speak. I never spoke to Silverstein again. I took over. And the page became what it was supposed to be -a place for the most committed political artists to show their work and feel in good company." "
p15-16


Quelques images : A.Siegel ; M.Arisman ; J.Vlahovic


[Pour voir l'image de Topor en question, je vous invite à faire un effort d'acquisition ou de déplacement jusqu'à une bibliothèque pour consulter physiquement le livre]

A voir : vidéo du NY Times pour les 40 ans de la page Op-Ed

dimanche 10 octobre 2010

Dans ces bras-là - C.Laurens


Dans ces bras-là, Camille Laurens, Folio Gallimard, 2005. [P.O.L., 2000]

"Il y a l'homme - les hommes. Elle cherche, pour les comprendre, à voir ce qui les différencie des femmes. Mais le secret échappe. Elle cherche ce qui fait d'eux des hommes, elle tourne autour de ce point : il font des choses qu'aucune femme ne fait, ou il le font différemment d'une femme. Mais elle se désole de ne pas parvenir à dépasser ce lieu commun : leur violence, la brutalité de leur façon d'être au monde, leur passion de dominer - sinon en le conjuguant à ce qui semble faussement son contraire : l'enfance en eux, fragile, attardée, immense, qui est peut-être le vrai noeud de leur sauvagerie - et quelquefois elle se réjouit de n'avoir pas de fils, parce qu'en parcourant l'espace qui sépare la rage de vaincre du désarroi enfantin pour y trouver ce point d'équilibre où se tiendrait l'homme idéal, cet acrobate, elle est bien obligée de l'admettre, malgré son amour : quand il lui arrive d'apercevoir non loin ce point flottant - harmonie funambule entre la force et la faiblesse - et d'y rencontrer quelqu'un, c'est toujours une femme."
p.256

dimanche 3 octobre 2010

Home Sweet Home - AM von Sarosdy



Home Sweet Home, Anne-Marie von Sarosdy, éd. teNeues, 2009.
(le véritable titre de cette série de photographies est "Heimat", ou "Terre natale")


"Everything men instinctively yearn for,
love, unity and stability
,
an aim and meaning in life,
is fulfilled by one's home."

Site dédié à la série "Heimat" par Anne-Marie von Sarosdy

dimanche 26 septembre 2010

L'Art Tangent - O.Darbelley & M.Jacquelin


L'Art Tangent, Odile Darbelley & Michel Jacquelin, sous la direction de Claire David, éd. Actes Sud, 2007.

"B.T. [Benjamin Tardillon] : Vous pensez qu'il faut déconnecter le plaisir de la collection du plaisir de posséder ?
E.R. [Emmanuel Rath] : Absolument, dans toute collection c'est la part de virtuel qu'il faut développer. Je réfléchis à une collection au carré : je collectionne un objet de chaque collection (un timbre, une poupée, une étiquette de vin, une montre, un Picasso, etc.). En somme, collectionner des idées de collection.
B.T. : C'est sans fin ?
E.R. : Oui, c'est sans fin, mais tant que c'est dans la tête, cela ne dérange pas trop... Quand j'étais adolescent, un de mes amis, Jean-Jacques Lebeau, avait entrepris de récolter au hasard de ses promenades, sur les réverbères, sur les murs ou les balustrades, les panneaux 'peinture fraîche'. Tout un pan de sa chambre en était recouvert. Il en avait une belle quantité ; ils pouvaient être offerts par des grandes marques ou manuscrits, écrits hâtivement, maculés de traces de couleur ou d'adhésifs. Il me racontait d'où venait telle ou telle nouvelle pièce et nous imaginions en silence les suites de son geste. Nous ne parlions pas vraiment de conséquences. Jean-Jacques Lebeau n'était jamais lourd. L'évocation d'un banc du square nous suffisait. En partant, je me souviens aussi que je me débrouillais toujours pour ne pas effleurer la peinture noire de la porte de sa chambre. Un panneau 'peinture fraîche', c'est comme un escalier roulant arrêté, cela crée toujours un trouble.
B.T. : Comment commence une collection ?
E.R. : Par un bout, par plaisir, dans l'idée, dans la projection dans le futur : commencer, c'est décider d'ordonner différemment sa perception du monde. Derrière toute collection, il y a une volonté et au moins une personne."

p.92-93

Pour positionner un peu :
"L’Art Tangent est tangible
On n’attend rien de l’Art Tangent et réciproquement.
L’art contemporain glisse en ligne droite depuis Marcel, l’Art Tangent ondule depuis Duchamp Duchamp comme la réglisse.
La perspective de l’Art Tangent est devant lui quand il se retourne.
L’Art Tangent n’est ni moderne, ni post-moderne, il est ailleurs.
L’Art tangent c’est la cerise sans le gâteau.
L’Art Tangent est à l’art contemporain ce que la pression est à la bière.
L’Art Tangent prend la voie du doute, de ce doute, que faute de mieux, nous appelons l’humour.
L’Art Tangent est uchronique mais il se soigne.
L’inutilité immédiate de l’art Tangent est exactement proportionnelle à la portée de sa trajectoire."
Le groupe Albert Pophtegme, extrait du Manifeste contre toute forme de reconnaissance de l’Art Tangent

dimanche 19 septembre 2010

L'Enchanteur - R.Barjavel


L'Enchanteur, René Barjavel, Folio Gallimard, 2005. [Denoël, 1984]

"Nous ne pouvons pas imaginer comment il était assis sur son pommier. Non pas sur une branche, mais sur le pommier lui-même en son entier. C'était un pommier de taille normale, et Merlin se présentait sous les proportions normales d'un être humain. Il était pourtant assis sur le pommier, et bien à la portée de la voix et des regards de ceux qui s'adressaient à lui, et qui n'avaient pas besoin, pour ce faire, de crier ni de lever la tête. Il nous faut donc faire comme eux, admettre le fait sans nous préoccuper du comment : il était assis sur son pommier... Eux ne se disaient pas que ce qu'ils voyaient était impossible : c'était possible puisqu'ils le voyaient... Et ils ne s'étonnaient pas non plus de voir Merlin mordre toujours dans la même pomme, craquante et juteuse, dont n'aurait dû rester depuis longtemps que la queue. On ne s'étonnait de rien devant l'Enchanteur : tout lui était naturel. Et on n'éprouvait ni fâcherie ni dépit si tout à coup il disparaissait : on savait qu'il était parti s'occuper de la Table Ronde, ou secourir quelqu'un qui n'avait pas eu la force de venir à lui et dont il avait entendu l'appel, même s'il n'avait pas été appelé. On s'asseyait sur la mousse en attendant son retour, et on cassait la croûte. Il y avait des pommes pour tout le monde."

p.177-178

dimanche 12 septembre 2010

"Ceci n'est pas de la masturbation mentale" - Terre Noire


Ceci n'est pas de la masturbation mentale, Collectif, coll. "No Present", éd. Terre Noire, 2008.

"Ce livre se constitue d’extraits de discours, critiques récupérées dans des magasines comme Art press, Beaux Arts magasine, ou au sein de brochures d’expositions, livres spécialisés, etc… Leur décontextualisation révèle ici toute l’obscenité de cette masturbation mentale.

Exemple :
La force de l'œuvre réside dans cette capacité : élargir jusqu'à la béance notre confrontation à ce que le réel recèle de plus ordinaire./Le point jaune surgit à l'horizon et s'approche des rives./ L'air de rien, les anges fécondent les vierges."


Le making of du livre

dimanche 5 septembre 2010

"La Petite Personne et la Mort (Chanson de Gestes)" - P.Rouillon


La Petite Personne et la Mort (Chanson de Gestes), Perrine Rouillon, Seuil, 2003.



"Quand je repense à chez nous (où il n'y a plus personne à présent), il me semble toujours que (...) jadis l'on savait - ou peut-être s'en doutait-on seulement - que l'on contenait sa mort comme le fruit son noyau." Rilke

Quatrième de couverture

Image issue du blog de Perrine Rouillon : la Petite Personne

dimanche 29 août 2010

Loin d'eux - L.Mauvignier



Loin d'eux
, Laurent Mauvignier, Les éditions de Minuit, 1999.

"C'est le contremaître qui est venu me chercher, juste au moment de la pause. J'étais en train de boire un café et on parlait avec les gars, de quoi je ne sais plus, on parlait et Guy, le contremaître, il est entré et j'ai vu qu'il m'a regardé tout de suite, blanc, son visage toujours inquiet sous ses moustaches, mais là d'une inquiétude différente, qu'on a tous ressentie parce que tous on a arrêté de parler, tous comme un seul on l'a regardé entrer et personne n'a rien dit, pas comme d'habitude quand dans sa blouse bleue on le voyait rappliquer, sachant qu'à chaque fois c'était pour se la ramener sur un tournevis qui manquait quelque part et qu'il cherchait tout l'après-midi parce que c'est encore moi qui vais me faire engueuler pour vos conneries il disait, et là non, pas ça, le silence tout de suite et son inquiétude qui s'est posée sur moi, et soudain leurs regards qui se sont posés sur moi. Il a dit, Jean, tu peux venir avec moi tout de suite ? Et il avait le visage et la voix de ceux qui savent avant vous que ce qu'ils vous portent comme message d'abord, c'est un peu la fin de votre vie."

p.99-100

dimanche 22 août 2010

Le roman au XXe siècle - J.-Y. Tadié


Le roman au XXe siècle, Jean-Yves Tadié, Pierre Belfond, 1990.

"Toute civilisation, toute culture se détache sur un horizon religieux. Mais, si la religion se constitue autour d'un livre, s'y condense, s'y nourrit, s'y rassemble, s'y ressource, on ne peut comprendre l'Inde sans le Veda, la Chine sans Confucius, l'islam sans le Coran, le monde chrétien sans la Bible, le monde juif sans la Thora. Ces structures profondes s'effacent au XXe siècle, ou plutôt se cachent, sous l'effet des progrès de l'incroyance, ou de l'indifférence. Mais, au dessus de ces structures occultés, le monde littéraire crée d'autres livres-matrices, qui, à leur tour, rayonnent, produisent d'innombrables enfants, servent de référence, même si on ne les lit pas. Ce n'est pas un jeu stérile que de se demander si la littérature anglophone ne culmine pas avec Joyce, l'autrichienne avec Musil et Broch, l'allemande avec Mann, Jünger et, si on l'y rattache, Kafka, la française avec Proust. Cependant, la littérature de notre temps parcourt un chemin qui va de la synthèse encyclopédique (dont même des écrivains un peu déclassés maintenant, comme Martin du Gard, Romains, donnent un ersatz) à l'éclatement, des grands sommets à l'air libre aux mille secrets du laboratoire de recherche. Superposons ces oeuvres chocs, ces miracles, ces révolutions : il en jaillira des concepts, qui permettront de classer l'inclassé, ou l'inclassable, une carte, fût-elle aérienne, l'histoire d'une longue durée dans un grand espace. Qu'ont en commun ces oeuvres où s'est incarnée un moment, où se cache peut-être encore, chère à Breton, la beauté "convulsive" ?"

p.7

dimanche 15 août 2010

dimanche 8 août 2010

Doppler - E. Loe


Doppler, Erlend Loe, coll. "Taille unique", Gaïa, 2004.

"Tu sais quel est ton problème, papa ? m'a-t-elle alors demandé.
J'ai secoué la tête.
Tu n'aimes pas les gens, a-t-elle dit. Tu n'aimes pas les êtres humains. Et donc je ne t'aime pas.
A ces mots, elle s'est levée, et elle est partie.
Elle a mis un terme à notre relation comme si j'avais été son petit copain. C'était une sortie pour le moins impressionnante. L'espace d'un instant, j'ai presque été fier d'elle. Et voilà ma fille qui s'en va, ai-je pensé en la voyant disparaître. Elle s'en tirera toujours, et en beauté.
Sur ces entrefaites, j'ai commandé une bière, puis j'ai archivé l'incident dans le dossier des manifestations irrationnelles, songeant que dans quelques jours elle serait à nouveau elle-même. Là-dessus, je ne me trompais pas totalement.
Or, quelques jours plus tard, alors que j'étais étendu là, dans la bruyère, avec des douleurs lancinantes dans la hanche et le soleil sur le visage, je me suis rendu compte que ma fille avait raison.
Je n'aime pas les gens.
Je n'aime pas ce qu'ils font. Je n'aime pas ce qu'ils sont. Je n'aime pas ce qu'ils disent."

p.40-41

dimanche 1 août 2010

As I Walked Out One Evening - W. H. Auden


As I Walked Out One Evening: Songs, ballads, lullabies, limericks and other light verse by W. H. Auden, Selected by Edward Mendelson, Faber and Faber, 1995.

"Refugee blues

Say this city has ten million souls,
Some are living in mansions, some are living in holes:
Yet there's no place for us, my dear, yet there's no place for us.

Once we had a country and we thought it fair,
Look in the atlas and you'll find it there:
We cannot go there now, my dear, we cannot go there now.

In the village churchyard there grows an old yew,
Every spring it blossoms anew:
Old passports can't do that, my dear, old passports can't do that.

The consul banged the table and said,
"If you've got no passport you're officially dead":
But we are still alive, my dear, but we are still alive.

Went to a committee; they offered me a chair;
Asked me politely to return next year:
But where shall we go to-day, my dear, but where shall we go to-day?

Came to a public meeting; the speaker got up and said;
"If we let them in, they will steal our daily bread":
He was talking of you and me, my dear, he was talking of you and me.

Thought I heard the thunder rumbling in the sky;
It was Hitler over Europe, saying, "They must die":
O we were in his mind, my dear, O we were in his mind.

Saw a poodle in a jacket fastened with a pin,
Saw a door opened and a cat let in:
But they weren't German Jews, my dear, but they weren't German Jews.

Went down the harbour and stood upon the quay,
Saw the fish swimming as if they were free:
Only ten feet away, my dear, only ten feet away.

Walked through a wood, saw the birds in the trees;
They had no politicians and sang at their ease:
They weren't the human race, my dear, they weren't the human race.

Dreamed I saw a building with a thousand floors,
A thousand windows and a thousand doors:
Not one of them was ours, my dear, not one of them was ours.

Stood on a great plain in the falling snow;
Ten thousand soldiers marched to and fro:
Looking for you and me, my dear, looking for you and me."

p.65

dimanche 25 juillet 2010

Designing books: practice and theory - J. Hochuli & R. Kinross


Designing books: practice and theory, Jost Hochuli, Robin Kinross, Hyphen Press, 1996.

"So: at one time asymmetry is cultural Bolshevism; twenty years later it stands for capitalism. Symmetrical typography is championed on both occasions, 1933 and 1953, but by two diametrically opposed ideologies. One can laugh - or perhaps cry.
We will not be able to stop ideologues and dogmatists. They are like the cat one throws out of the front door, only to find that it has crept in again through the back door. But we are called - at least in the field of book typography - to fight with such a strength as we have against the nonsense they serve up. We will better be able to do this if we remember Kant's challenge: 'Have courage to use your own understanding!'
"
p.30

dimanche 18 juillet 2010

L'Envers de l'esprit - V.Novarina


L'Envers de l'esprit, Valère Novarina, P.O.L., 2009.

"Une litanie est une rosace verbale où le langage ne récite plus mais s'ouvre et tournoie : personne ne peut saisir le tout, chacun est atteint par un trait singulier : jaillie de la rosace, cette phrase ne parle qu'à vous. Il y a dans les litanies une infinie versatilité logique, un lancer tournoyant et quelque chose de divinatoire : c'est faire rouler beaucoup de cailloux, jaillir beaucoup de mots, jeter beaucoup de dés. Personne n'est percé de la même flèche en même temps. A chaque représentation, j'observe cette balistique du langage, ces percées que font, çà et là, les mots dans la chair des spectateurs. Le patron des spectateurs, s'il y en avait un, ce devrait être saint Sébastien... Tout est action dans L'Origine rouge, dans La Scène, dans L'Acte inconnu : tout est en acte, tout est trait. Il y a une sorte de chasse. Les acteurs sont armés de langage."

p65-66