dimanche 26 février 2012

L'Acte inconnu - V. Novarina


L'Acte inconnu, Valère Novarina, édition de Michel Corvin, coll. "Folio Théâtre", éd. Gallimard, 2009. [P.O.L., 2007]

"L'HOMME NU
Je voudrais que ma pensée me serve ici à témoigner de mon incapacité mentale. J'ai ouvert la fenêtre au lieu d'une porte pour agir. Dans toute action, j'ai toujours préféré la contemplation. Ma fenêtre donnait sur un champ de pas-grand-chose. Par où je voyais parfois mes yeux regarder huit heures de suite. A la longue, je voyais le paysage en larmes à la place des yeux. Je regardais tout le jour en fixe rouiller les barbelés et fleurir les orties : la nature pousser son horrible murmure. La vie continuait, les Animaux périssaient, les Sapins bleus formaient des croix de rien sur les cieux ; les nuages filaient leurs boucles ; à force de balayer l'eau de l'évier puis de me laver sans cesse aux pauses, l'envie me prenait parfois de me balayer moi-même à force de balayer : j'aurais voulu m'accompagner moi-même en balai jusqu'à la poussière. Les choses d'actions, nous les gardons avec nos cerveaux couchés dessus comme une pierre : un couvercle de choses toutes dites. On voit par la fenêtre : trois piquets, deux lignes de barbelés, un grand buisson d'orties, des tiges de sureau, de la bardane, de l'angélique, un petit sorbier."
p. 160