dimanche 10 avril 2011

Métamorphoses de l'âme et ses symboles - C. G. Jung


Métamorphoses de l'âme et ses symboles : Analyse des prodromes d'une schizophrénie, C. G. Jung, Avec 300 illustrations choisies par Yolande Jacobi, Préface et traduction d'Yves Le Lay, coll. "références", éd. Le Livre de Poche, 2004. [Symbole der Wandlung, éd. Rascher, 1952 ; éd. Georg, 1953, 1987, 1989, 1993]

"La pensée dirigée, ou, comme on pourrait aussi l'appeler, la pensée en mots, est de toute évidence l'instrument de la culture ; nous ne risquons pas de nous tromper en disant que le gigantesque travail d'éducation que les siècles ont fait subir à la pensée dirigée, en la dégageant de façon originale de la subjectivité individuelle pour la conduire à l'objectivité sociale, a contraint l'esprit humain à un travail d'adaptation auquel nous devons l'empirisme et la technique d'aujourd'hui qui sont absolument premiers dans l'histoire du monde. Les siècles précédents ne les ont pas connus. Assez souvent déjà les esprits curieux se sont demandés pourquoi les connaissances si développées que les anciens avaient des mathématiques, de la mécanique et de la matière, unies à une dextérité artistique sans exemple, ne furent jamais utilisées par eux pour faire des rudiments techniques bien connus (par exemple, les principes des machines simples) quelque chose de bien plus qu'un jeu curieux, en les poussant jusqu'à une véritable technique au sens d'aujourd'hui. A cela il faut répondre : quelques esprits éminents mis à part, il manquait généralement aux anciens la capacité de suivre avec intérêt les transformations de la matière inanimée de façon à pouvoir reproduire artificiellement les processus naturels. Or, c'est ainsi seulement qu'ils auraient pu les dominer. Il leur manquait le training de la pensée dirigée. le secret du développement culturel, c'est la mobilité de l'énergie psychique et son aptitude à se déplacer. La pensée dirigée de notre époque est une acquisition plus ou moins récente, tout à fait étrangère à ces temps lointains.
Nous en arrivons ainsi à cette autre question : que se passe-t-il quand nous ne dirigeons pas notre pensée ? Car alors elle est privée de la représentation supérieure et du sentiment de direction qui en émane. Nous ne contraignons plus notre pensée à suivre des voies déterminées ; nous la laissons planer, plonger et réapparaître selon son propre poids. Selon Külpe, la pensée est une sorte "d'acte volontaire intérieur" dont l'absence conduit nécessairement à un "jeu automatique de représentation". James considère la pensée non dirigée ou "pensée simplement associative" comme la forme ordinaire de la pensée. Voici comment il s'exprime à ce sujet : "Une bonne partie de notre activité mentale est constituée par des suites d'images se suggérant les unes les autres, par une sorte de rêverie spontanée qu'on ne saurait guère refuser aux animaux supérieurs. Cependant, cette activité-là ne laisse pas d'aboutir à des conclusions raisonnables, tant dans l'ordre pratique que dans l'ordre spéculatif."
"En général, cette pensée sans contrôle unit des données concrètes et non des abstractions".
Nous pouvons compléter comme suit ces remarques de William James. Cette pensée n'est pas pénible ; elle éloigne de la réalité pour aller vers des fantaisies du passé ou de l'avenir. Là cesse la pensée en mots ; les images succèdent aux images, les sentiments aux sentiments. De plus en plus clairement apparaît une tendance à créer et organiser tout, non comme les choses sont dans la réalité mais comme on désirerait qu'elles fussent. La matière de cette pensée qui se détourne du réel ne peut donc être que le passé avec ses milliers d'images-souvenirs. Le langage commun appelle "rêver" cette façon de penser."

p.64-66

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