dimanche 12 décembre 2010

Les souvenirs m'observent - T. Tranströmer

Les souvenirs m'observent, Tomas Tranströmer, traduit du suédois et postfacé par Jacques Outin, éd. Le Castor Astral, 2004. [1993]

" "Ma vie." Quand je pense à ces mots, je vois devant moi un rayon de lumière. Et, à y regarder de plus près, je remarque que cette lumière a la forme d'une comète et que celle-ci est pourvue d'une tête et d'une queue. Son extrémité la plus lumineuse, celle de la tête, est celle de l'enfance et des années de formation. Le noyau, donc sa partie la plus concentrée correspond à la prime enfance, où sont définies les caractéristiques les plus marquantes de l'existence. J'essaie de me souvenir, j'essaie d'aller jusque-là. Mais il est difficile de se déplacer dans cette zone compacte : cela semble même périlleux et me donne l'impression d'approcher de la mort. Plus loin, à l'arrière, la comète se dissout dans sa partie la plus longue. Elle se dissémine, sans toutefois cesser de s'élargir. Je suis maintenant très loin dans la queue de la comète : j'ai soixante ans au moment où j'écris ces lignes.
Nos premières expériences, pour la plupart, nous sont inaccessibles. Les chroniques, les souvenirs de souvenirs, les reconstitutions se fondent sur un choix de sentiments qui subitement s'enflamment. Mon souvenir le plus ancien est celui d'un sentiment, un sentiment de fierté. Je viens tout juste d'avoir trois ans et on me dit que c'est un évènement d'une extrême importance, car je suis un grand garçon maintenant. Je suis couché dans une immense chambre claire, et soudain, je me laisse glisser sur le sol, parfaitement conscient du fait que je suis en train de devenir adulte. J'ai une poupée, à laquelle j'ai donné le plus beau nom qui soit : KARIN SPINNA. Je ne la traite pas comme une mère ferait de son enfant. C'est plutôt une amie ou ma petite chérie."

p.9-11

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